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Le photovoltaïque pour décarboner notre électricité ?

2 septembre 2024 par
Le photovoltaïque pour décarboner notre électricité ?
Nicolas d'Issernio

L'électricité française est l'une des moins carbonées du monde. Quel est l'impact de l'installation de panneaux photovoltaïques, fabriqués pour la plupart en Asie, avec de l'électricité nettement plus carbonée ? Pour rappel, fin 2020, l'Europe produit 6,75GWc de modules mais ne produit que 0,65GWc de cellules. 90,4 % des modules dit Européens sont constitués de cellules asiatiques.

Source : IEA-PVPS PV trends Report 2020[1] On remarque qu'en Chine et en Inde le photovoltaïque a une influence notable sur les quantités de CO₂ évité cela est du à leur mix énergétique très carboné. Par contre en France ou en Suisse, cela a une influence très modeste. Déception, il n'y a aucun effet magique, il est difficile de décarboner une électricité qui l'est déjà. Néanmoins la situation présente n'est pas celle de demain. Nos centrales sont vieillissantes et il faut a minima 15 ans pour en reconstruire.

Le bilan carbone du photovoltaïque en France

D'après l'ADEME : L'empreinte carbone du solaire PV se situe entre 20 et 80 gCO2eq/kWh selon la technologie des modules (couches minces, silicium...) et la localisation de l'installation. [...] L’empreinte carbone du solaire photovoltaïque est autour de 55 gCO2eq/kWh, soit 27 gCO2eq/kWh de moins que le mix électrique français. [2]

Ces 55g CO₂eq/kWh qui sont repris un peu partout sont à relativiser. En effet, selon une note d'Enerplan : Les valeurs sont néanmoins basées sur des données de 2011, avec notamment un contenu CO2 du module de 1798 kgCO2/kWc  [3]

Toujours d'après l'ADEME : Pour un mix électrique chinois, l’empreinte carbone du photovoltaïque est de 43,9 gCO2eq/kWh, pour un mix électrique européen 32,3 gCO2eq/kWh et 25,2 gCO2eq/kWh pour un mix électrique de fabrication français. La majorité des panneaux installés en France provenant d’usines de fabrication en Chine, la valeur par défaut est 43,9 gCO2eq/kWh.[4]

Une projection en 2030 d'Enerplan : Un poids carbone du PV français en 2030 estimé à 32 gCO2/kWh [3]

Pour rappel, le nucléaire est donné pour 6g eq CO₂/kWh (source ADEME)

De multiples facteurs influencent le bilan carbone de l'électricité produite par le panneau photovoltaïque :

  • Sa situation géographique
  • Son orientation, son inclinaison
  • Le lieu de fabrication de ses composants et de son assemblage
  • La technologie employée

La situation géographique. Dans le Sud-Est de la France on aura une production qui pourra aller jusqu'à 1500kWh/kWc, alors que dans le Nord, on sera à 900kWh/kWc soit presque 67 % de plus de production.

L'orientation. Entre un panneau orienté au sud et l'un à l'ouest, c'est une réduction de 25 % de production. L'inclinaison optimale est à 30° en France. À plat, on va perdre environ 7 % de production.

Le lieu de fabrication de ses composants et de son assemblage. Il est difficile de trouver des données car les constructeurs communiquent peu sur le sujet. En France, dans les appels d’offres de projets photovoltaïques >100kWc, le bilan carbone des panneaux est devenu un critère de choix. La note la plus basse est attribuée au-delà de 1150kg eq CO₂ / kWc. Les fabricants se doivent de fournir un bilan carbone simplifié ou une analyse du cycle de vie. Encore plus restrictif, le nouveau projet d'arrêté tarifaire inclut un plafond carbone à 550 kg eq CO₂ / kWc pour les installations entre 100 et 500KWc. D'après la note Enerplan " d’origine asiatique avec un poids carbone plus élevé que ceux fabriqués en Europe (entre 1200 et 2200 kgCO2/kWc1 )." [3]

La technologie utilisée. Silicium Monocristallin / polycristallin / film mince. Ces trois technologies s'affrontent et leur part de marché fluctue suivant les avancées technologiques et les baisses de prix. En France, le bilan carbone étant un critère de choix, les films minces sont surreprésentés par rapport au reste du monde, étant donné leur faible empreinte carbone. Le monocristallin tend à supplanter le multi cristallin en raison du fort volume de production, d'amélioration de rendement et de baisse de prix, malgré son empreinte carbone plus élevée.[5]

Une amélioration continue du bilan carbone. Les constructeurs font des efforts pour diminuer cette empreinte carbone. La plupart annoncent alimenter leur usine avec des parcs photovoltaïques conséquents. L'efficacité des cellules des modules augmente régulièrement. Une nouvelle technique de découpe des lingots de silicium doit faire baisser de 70 % les émissions de CO₂ de cette étape.[6] Un article publié dans la revue Nature de 2016 [7] faisait état que la réduction du bilan carbone des panneaux solaires suivait une courbe d'apprentissage. L'efficience s'améliore globalement avec l'augmentation du volume de production.

Etude de cas - Panneau seul : Prenons l'exemple d'un module solaire du fabricant Trina Solar qui arrive sur le marché français actuellement (Août 2021). Il annonce son module Vertex S 400w à 574kg/kWc. [8] Installé plein sud, incliné à 30° dans le Sud de la France, on sera à 17,8g/kWh et 27,7g/kWh dans le Nord, avec une durée de vie de 25 ans en prenant en compte la dégradation des performances. Les données récentes sur la durée de vie de panneaux et l'amélioration constante du taux de dégradation des panneaux, laissent à croire que la durée réelle est beaucoup plus longue. Avec une durée de vie de 30 ans, dans le Sud de la France, l'empreinte carbone tombe à 15,1g/kWh et dans le Nord à 23,5g/KWh. Le temps de retour carbone est de 7,8 ans dans le Nord de la France et 5 ans dans le Sud si l'on retient que le mix énergétique électrique de France est à 82g eq CO₂ / kWc. Source : ADEME [2]

Etude de cas - Centrales au sol : J'avais espéré trouver de nombreuses informations sur le sujet dans les études d'impacts de ce type de projet. Certaines ne parlent que de quantité de CO₂ évitées sans détailler le calcul ni le bilan carbone. L'exemple ci-dessous se base sur l'étude d'impact mené par Urbasolar pour un projet à Rion-des-Landes, disponible sur le site du département des Landes [9]. L'étude est menée avec un module français SILLIA VL 431,1g eq CO₂ / KWc. Ensuite, viennent s'additionner les émissions de la fabrication des autres composants, le transport, le chantier…

Dans sa globalité, le projet aboutit à 1505,7kg eq CO₂ / kWc. Les panneaux représentent moins d'1/3 des émissions. Ce qui donne ~61g eq CO₂ / kWh et un temps de retour carbone à plus de 17 ans.

Autre étude d'impact. Total Quadran 2020 à Bessac (16). [10]

Les 284 à 1249kgCO₂/kwc de CO₂ émis pour pour produire la technologie se basent sur une étude Ernst & Young de 2009[11]. Ces 284 kg eq CO2/kWc sont "produit sortie d’usine en France" pour un système monocristallins, en prenant en compte un remplacement d'onduleur sur une période de 20 ans. On peut se demander pourquoi une étude d'impact de 2020 se base sur une étude de 2009 ? On peut également se poser la question sur la validité de 284kg eq CO₂/kWc sachant que le champion français du module bas carbone, Photowatt, annonçait en mai 2021 : "Si on utilise notre technologie avec du silicium norvégien bas carbone, grâce à l’hydroélectricité, dans l’usine de Photowatt on obtient des panneaux avec une empreinte carbone de 350 kg de CO₂ par kilowatt-crête (kWc), contre 500 à 1000 kgCO₂/kWc pour les panneaux chinois",[12]. 350kg eq CO₂/kWc auxquels il faut ajouter, l'onduleur (et son remplacement), les supports, le défrichage... 284kg eq CO₂/kWc vs 1672.5kg eq CO₂/kWc pour l'étude d'impact de Urbasolar. Hormis le défrichage, qui peut être très différent, il est difficile de trouver une explication rationnelle à ce rapport 7 entre ces deux études.

Faune & Flore vs Carbone - Clairement le sujet carbone n'est pas de premier ordre dans une étude d'impact pour une centrale photovoltaïque au sol. L'impact sur la faune et la flore est beaucoup plus détaillé. Pourtant ceux-ci risquent d'être profondément modifiés si la question carbone n'est pas considérée. À 1672.5kg eq CO₂/kWc, on est sur un temps de retour carbone à 20 ans avec un panneau avec une faible empreinte. On pourrait imaginer que certaines centrales ont un temps de retour carbone supérieur à leur durée de vie. Néanmoins les centrales au sol permettent d'installer de grandes puissances rapidement à des coûts bas. Si le site est réutilisé à la fin de sa période d'exploitation de 25ans, les travaux d'infrastructures et de défrichage, très générateur de carbone ne seront pas à réentreprendre ou du moins pas dans leur intégralité.

Etude de cas - Photovoltaïque en toiture : Le photovoltaïque en toiture profite de la structure du bâtiment et ne nécessite pas de défrichage et de structures de supports lourds. En 2019, le photovoltaïque en toiture représentait 58 % de la puissance installée en France avec 5,8GWc sur 9,9GWc. [2]

Les installations au sol progressent plus vite avec 512MWc raccordés en 2019 contre 454MWC pour PV sur bâtiment. La répartition entre puissances sur toitures est la suivante : [2]

Pour estimer le bilan carbone d'une installation en toiture, voici un graphique de l'IEA-PVPS [13] sur les émissions d'une installation en toiture.

Si le module représente 42g eq CO₂/kWh, la part installation/onduleur représente 12g eq CO₂/kWh. Dans le cas étudié précédemment avec un module de 2021 en France, nous étions à une empreinte de 16,2g/kWh dans le Sud et 23,6g/kWh dans le Nord avec une durée de vie 30 ans uniquement pour le module. Pour l'installation complète en toiture, nous serions respectivement à 28,2g/kWh et 35g/kWh.

Les ombrières sont un cas à part, nécessitant la création de structures de supportages ayant un impact dans le bilan carbone. Pour les projets de petites tailles <9kWc, la part des émissions engendrées par les sociétés installatrices (déplacement des commerciaux, monteurs, etc.) est élevée, l'installation ne bénéficiant pas d'économie d'échelle. Les effets de seuils des primes à l'autoconsommation ont tendance à favoriser l'installation de 3kWc. Pour les grandes toitures, les ratios doivent tendre vers ceux des centrales au sol avec les avantages cités précédemment. Les coûts d'installation sont plus élevés, le prix chutant avec la taille plus vite sur les centrales au sol qu'en toiture, mais d'un point de vue bilan carbone cela parait plus vertueux.[14]

L'auto-installation de modules présente une empreinte carbone limitée. Il faudrait évaluer le bilan carbone des structures en surimposition et l'impact de l'acheminement/achat internet.

Tracker/Suiveur . Orienter les modules en fonction de la position du soleil permet d'améliorer le productible du panneau. Avec des modules bifaciaux, on atteint jusqu'à 44 % de gain moyen sur l'année[15].

Cela améliore le bilan carbone du panneau. Il faudrait réussir à quantifier l'impact du tracker, de sa maintenance, de son remplacement. Si je trouve des données je compléterai cette section.

Nucléaire : 1 / Photovoltaïque : 0... Pour l'instant ?

Il faudra encore quelques ruptures technologiques pour que le photovoltaïque ait une empreinte carbone inférieure au nucléaire. Lorsque les modules arriveront à un seuil de 200kg/kWc, le photovoltaïque surpassera le nucléaire sur ce point. Mais est-ce possible ?

Les pistes qui paraissent les plus prometteuses aujourd'hui :

  • Production des modules en Europe - Meyer Burger / REC /Greenland - gain potentiel de 26 % pour des modules produits en Europe vs Asie et même 42 % si produits en France.
  • Nouvelle technologie de découpe wafers - Nexwafe, NorSun
  • Amélioration des rendements objectifs à ~29 % avec les cellules tandem - Oxford PV / Greenland / Meyer Burger - gain potentiel ~35 %
  • Diminution de la dégradation - Meyer Burger (performance à 30 ans >93,2 %)[16] / LG NeON H BiFacial à 25 ans 96,4 %)[17] Gain potentiel 7 à 8 %
  • Diminution du coefficient de température P - Meyer Burger -0,259 %/°C / Sunpower -0,27 - Gain potentiel 20 % d'après Meyer Burger
  • Diminution de l'empreinte carbone de la production du Silicium - Aurinka [18]

Bien sûr, l'énergie nucléaire est pilotable et le photovoltaïque ne l'est pas. Pour pouvoir comparer les 2 énergies, il faudrait comparer nucléaire et photovoltaïque + stockage.

Transparence du bilan carbone ? La prise en compte du bilan carbone des modules devient courante dans l'industrie avec le critère CRE et probablement avec le nouvel arrêté tarifaire. Pourtant, ce type de données est totalement absent des fiches techniques des constructeurs. Ceux-ci rétorquent que les méthodes de calculs ne cessent de changer. Les valeurs prisent en compte évoluent aussi suivant leur production. Le bilan carbone d'un modèle de module ne sera pas forcément la même pendant toute sa commercialisation et dépend également de son lieu de production. Et dernier argument, ils n'ont pas un budget extensible à consacrer à la certification carbone de leur module pour le modeste marché français.

Dans le cas du résidentiel ou de projets en toiture <100kWc, cette donnée, inconnue du client pourrait très bien orienter le choix. L'argument commercial trompeur du module fabriqué/assemblé France/Europe n'est pas suffisant.

N'hésitez pas à me dire en commentaires, ce que vous pensez de cette absence de données sur le bilan carbone des fiches techniques des fabricants ? Faudrait-il une réglementation/taxe sur le sujet ?

Sources :

[1]https://iea-pvps.org/wp-content/uploads/2020/11/IEA_PVPS_Trends_Report_2020-1.pdf

[2]https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/solaire-pv_fiche-technique-integration-dans-industrie-2020.pdf

[3]https://www.enerplan.asso.fr/medias/publication/fts_icare_artelys_etudeco2_note_mars2020.pdf

[4]https://www.bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_FR/index.htm?renouvelable.htm

[5]https://www.ise.fraunhofer.de/content/dam/ise/de/documents/publications/studies/Photovoltaics-Report.pdf

[6]https://www.businesswire.com/news/home/20210204005199/en/NexWafe-GmbH-Lands-%E2%82%AC10-Million-Funding-Round-Aims-to-Cut-Solar-Production-Costs-by-30-Reduce-CO2-Emissions-by-70

[7]https://www.nature.com/articles/ncomms13728#Fig2

[8]https://youtu.be/RxSx_Rf8lak?t=3412

[9]http://www.landes.gouv.fr/IMG/pdf/bilan_carbone.pdf

[10]https://www.charente.gouv.fr/content/download/36333/222329/file/Bessac-Rapport%20EIE.pdf

[11]https://docplayer.fr/2250543-Etude-du-developpement-de-l-energie-solaire-en-rhone-alpes.html

[12]https://www.usinenouvelle.com/article/et-pourquoi-pas-un-fonds-empreinte-carbone.N1091524

[13]https://iea-pvps.org/wp-content/uploads/2020/07/IEA_PVPS_Task12_LCA_PVandStorage.pdf

[14]https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/couts-energies-renouvelables-et-recuperation-donnees-2019-010895.pdf

[15] https://iea-pvps.org/wp-content/uploads/2021/02/Report-IEA-PVPS-T13-20_2020-Climatic-Rating-of-PV-Modules.pdf

[16]https://www.meyerburger.com/fileadmin/user_upload/PDFs/Produktdatenblaetter/FR/DS_Meyer_Burger_Glass_fr.pdf

[17]https://www.lg.com/global/business/download/solar/0316_LG_NeON_H_Bifacial_N2T_E6_440_435_430[20210705_152211].pdf

[18]https://www.pv-magazine.com/2020/05/19/wafer-production-comes-back-to-spain/

https://www.photovoltaique.info/fr/info-ou-intox/les-enjeux-environnementaux/analyse-du-cycle-de-vie/

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